Driftwood
Quand nous regardons, nous ne voyons d’habitude que ce qui se trouve autour de nous : trois ou quatre choses, souvent sans grand intérêt, à peine aperçues au milieu de l’infini.
Regardez l’objet le plus simple, regardez par exemple une vieille chaise. Elle ne paraît pas être grand-chose. Mais pensez à tout l’univers qu’il y a en elle : les mains et la sueur de celui qui a taillé ce bois qui un jour fut un arbre robuste, plein d’énergie, au milieu d’une forêt touffue dans de hautes montagnes, le travail amoureux de celui qui l’a construite, le plaisir de celui qui l’a achetée, les fatigues qu’elle a soulagées, les douleurs et les joies qu’elle a sans doute supportées, dans un grand salon, ou peut-être dans une pauvre salle à manger de banlieue... Tout, absolument tout, représente la vie et a son importance. Même la plus vieille chaise porte en elle la force initiale de la sève qui, la-̀ bas dans la forêt, montait de la terre, et qui servira encore à donner de la chaleur le jour où, devenue petit bois, elle brûlera dans une cheminée.
Antoni Tàpies