Glass
...Dans une journée d’homme contemporain, il n’est presque plus rien en effet qui puisse se traduire en expérience : ni la lecture du journal, si riche en nouvelles irrémédiablement étrangères au lecteur qu’elles concernent ; ni le temps passé dans des embouteillages au volant d’une voiture ; ni la traversée des enfers où s’engouffrent des rames du métro ; ni le cortège de manifestants barrant soudain la rue ; ni la nappe de gaz lacrymogène, qui s’effiloche lentement entre les immeubles du centre ville ; pas davantage les rafales d’armes automatiques qui éclatent on ne sait où ; ni la file d’attente qui s’allonge devant les guichets d’une administration ; ni la visite au supermarché, ce nouveau pays de Cocagne ; ni les instant d’éternité passés avec des inconnus , en ascenseur ou en autobus, dans une muette promiscuité. L’homme moderne rentre chez lui le soir épuisé par un fatras d’évènements – divertissants ou ennuyeux, insolites ou ordinaires, agréables ou atroces –sans qu’aucun d’eux se soit mué en expérience
Giorgio Agamben, Enfance et histoire, cité d’après Thiery Davila, Marcher, créer, p. 179